Pour un partenariat qui apporte justice aux peuples africains : Déclaration conjointe en vue du 7e sommet UA-UE
Le 7e sommet UA-UE, qui se tient dans le cadre de l'Année des réparations de l'UA, doit impérativement réparer les injustices historiques et l'exploitation infligées au continent africain
Nous exhortons les gouvernements européens à reconnaître qu'une grande partie de la dette accumulée est illégitime, injuste et insoutenable
En cette Année jubilaire 2025 – année spéciale de pardon et de réconciliation que l’Église catholique célèbre tous les 25 ans – et alors que nous entamons la Décennie des réparations de l’Union africaine, nous saluons le 7e sommet UA-UE comme une occasion de travailler ensemble à l’élaboration des fondements d’un partenariat équitable entre les deux régions.
Forts de l’expérience directe de nos communautés et des populations que nous servons, notamment celles qui souffrent de la pauvreté et de la faim, les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs, les peuples autochtones, les femmes et les jeunes, nous saisissons cette occasion pour plaider en faveur d’un partenariat UA-UE juste et responsable. Nous réaffirmons notre engagement en faveur de la justice sociale, environnementale et mondiale, tout en dénonçant les fausses solutions climatiques, un modèle de développement fondé sur l’extractivisme et la marchandisation de la nature.
Nous exhortons les dirigeants réunis à Luanda à placer la dignité de nos peuples au cœur des relations UA-UE. Cela exige des choix décisifs dans de nombreux domaines. Nous reconnaissons les efforts déployés par de nombreuses initiatives de l'UE pour contribuer au développement humain. Toutefois, constatant que plusieurs d'entre elles semblent reproduire les schémas d'extraction des ressources du passé, nous partageons les inquiétudes quant à l'importance accrue accordée par l'UE à ses intérêts géopolitiques et économiques, au détriment de la justice et de la solidarité avec les peuples africains, de leurs besoins et de leurs aspirations. S'engager dans cette voie ne permettrait pas d'établir un véritable partenariat, un partenariat visant à corriger les déséquilibres existants et orienté vers un bénéfice mutuel réel.
Dans cette déclaration, nous souhaitons donc aborder plus particulièrement certains défis majeurs que nous observons dans les domaines des partenariats énergétiques et climatiques, de la plateforme Global Gateway, des systèmes alimentaires et de la dette, et proposer des perspectives sur la manière dont une action conjointe dans ces domaines pourrait mieux servir l'objectif d'un développement humain intégral.
Des accords énergétiques extractivistes aux partenariats équitables et aux systèmes énergétiques démocratiques
La course aux matières premières critiques (MPC) dévaste des territoires, sacrifie des communautés et risque de renforcer les schémas historiques d'extractivisme. Ce phénomène s'inscrit dans des systèmes qui privilégient le profit au détriment des personnes et qui traitent la terre, l'eau et les minéraux – fondements de la vie sur Terre – comme des marchandises destinées au profit étranger plutôt que comme des biens communs à gérer avec soin et au bénéfice de tous.
Dans ce contexte, les pays africains cherchent à rompre avec les schémas historiques d'extraction et de dépendance aux matières premières, à maintenir une plus grande part de la transformation de leurs ressources sur leur territoire et à développer davantage de valeur ajoutée locale. Cela exige un partenariat industriel différent entre pays européens et africains, dans lequel l'Europe n'adopte pas une approche protectionniste excessive du type « L'Europe d'abord ». Une telle approche compromettrait le potentiel de renforcement des liens entre les deux régions, affaiblirait les relations commerciales de l'UE à un moment critique, irait à l'encontre des objectifs de valorisation locale de l'Afrique et de la réalisation de son plein potentiel, et compromettrait les objectifs mondiaux en matière de climat et d'environnement. Les décideurs politiques européens doivent reconnaître que le programme de l'UE en matière de sécurité des chaînes d'approvisionnement ne peut être atteint par la seule transformation nationale et qu'un véritable partenariat avec les pays africains ne peut se construire que s'il est aligné sur les ambitions de l'Afrique en matière de valeur ajoutée.
De manière générale, la coopération de l’UE avec les pays africains s’agissant de matières premières critiques s’inscrit dans des cadres non contraignants, tels que le programme d’investissement Global Gateway, les partenariats stratégiques au titre de la loi sur les matières premières critiques et les partenariats pour un commerce et des investissements propres. Elle est également influencée par les accords de libre-échange de l’UE, qui comportent des dispositions juridiquement contraignantes laissant souvent peu de marge de manœuvre aux pays partenaires pour maintenir le contrôle de leurs ressources minérales. Pour être de meilleurs partenaires, l’UE et les gouvernements européens doivent traduire le soutien déclaré de l’UE à la valorisation locale dans les pays africains en actions concrètes. Cela implique de s’accorder sur une définition commune et claire de la « valorisation », d’établir des engagements spécifiques et contraignants en matière d’assistance technique et financière pour le partage des connaissances, des technologies et des compétences, et de mettre en œuvre des mécanismes de suivi et de contrôle efficaces.
Pour que les partenariats Europe-Afrique favorisent une gestion équitable, responsable et durable des ressources minérales, il est également essentiel de repenser le modèle global de production d’énergie et de veiller à ce que les avantages liés aux énergies renouvelables et à la production minière, tels que les recettes et les emplois, profitent aux communautés locales et aux pays producteurs. Les mégaprojets d'énergies renouvelables, souvent imposés sans consultation adéquate des populations locales, concentrent le pouvoir économique, manquent de transparence et détruisent les écosystèmes. Au contraire, les relations birégionales devraient promouvoir des systèmes d'énergies renouvelables démocratiques et décentralisés, gérés par les communautés et ancrés dans les territoires locaux. Le partenariat UA-UE peut y contribuer en : (1) renforçant la participation du public au financement, à la propriété et au contrôle des projets d'énergies renouvelables ; (2) privilégiant les projets à petite échelle destinés aux populations les plus défavorisées ; (3) soutenant l'économie coopérative et sociale (comme les communautés d'énergies renouvelables) ; (4) respectant les droits et les savoirs des peuples autochtones ; (5) renforçant les capacités de suivi et de contrôle des normes sociales et environnementales ; et (6) concevant des projets pour les marchés nationaux et régionaux, et non uniquement pour l'exportation.
De la production alimentaire industrielle à l'agroécologie
La faim n'est pas un problème de production, mais une question de justice, liée au partage des ressources et à l'accès aux financements. La faim, la malnutrition et l'insécurité alimentaire persistent aujourd'hui en Afrique, principalement en raison de la logique et des priorités d'un modèle de développement conçu pour maximiser la croissance économique. L'agriculture industrielle, caractérisée par la monoculture, la production à grande échelle et le recours aux technologies de pointe, aux intrants chimiques, aux semences génétiquement modifiées ou hybrides et aux engrais de synthèse, vise à accroître la production alimentaire pour maximiser les profits, favorisant ainsi l'accumulation de bénéfices par les grandes entreprises agroalimentaires. Elle contribue aux émissions de gaz à effet de serre, à la pollution de l'eau et de l'air, à la perte de biodiversité et à la dégradation des sols. Elle s'éloigne des régimes alimentaires traditionnels et diversifiés et a des répercussions sur la santé humaine. Elle permet la concentration et l'abus de pouvoir par les grandes entreprises agroalimentaires et marginalise les petits exploitants agricoles dans la prise de décision. Elle ignore les savoirs ancestraux et traditionnels, ainsi que la diversité des expériences, des visions du monde et des traditions locales, et compromet la souveraineté alimentaire et semencière et l'autodétermination des communautés locales.
Le partenariat UA-UE doit soutenir une transformation de l'agriculture qui rompe avec ce modèle d'exploitation et d'extraction des ressources et avec la dépendance aux engrais, aux intrants chimiques et aux semences génétiquement modifiées importés. Cela inclut la promotion de l'agroécologie – un modèle éprouvé de résilience climatique pour les communautés rurales – que l'UE pourrait soutenir en établissant des lignes directrices européennes claires et contraignantes et en orientant les financements vers l'agroécologie.
Il s'agit également de protéger et de promouvoir les systèmes semenciers gérés par les agriculteurs, qui permettent la préservation des espèces cultivées traditionnelles, le développement de variétés locales adaptées aux besoins spécifiques des agriculteurs, leur autonomie et la gestion responsable de l'environnement. Ces systèmes s'appuient sur des connaissances, des valeurs et un savoir-faire accumulés au fil des millénaires et offrent aux populations une base solide pour répondre à leurs besoins en aliments sains et adaptés à leur culture. Criminaliser les agriculteurs qui conservent et échangent des semences, ou imposer des régimes de propriété intellectuelle rigides ou des intérêts d'entreprises, viole leurs droits et les besoins de la planète.
Cette transformation exige une cohérence politique et la fin des deux poids, deux mesures. Les pesticides interdits dans l'agriculture européenne en raison de leurs effets néfastes sur la santé ou l'environnement ne devraient plus être produits pour l'exportation hors de l'UE, notamment vers l'Afrique.
Nous exhortons les dirigeants réunis à Luanda à recentrer leurs efforts, en passant de la production, de l'efficacité et du profit, à collaborer à un modèle agricole qui garantisse la justice, favorise une répartition équitable des ressources et protège nos écosystèmes.
De la surconsommation à une sobriété éclairée
Le passage aux énergies renouvelables, l'amélioration de l'efficacité énergétique et l'investissement dans l'agroécologie sont essentiels, mais insuffisants. Le respect des limites planétaires requiert des politiques ambitieuses d'autosuffisance énergétique.
Les récents partenariats de l'UE avec les pays africains en matière d'énergie et de climat reposent sur des prévisions de la demande en minéraux qui anticipent une forte augmentation de la consommation d'énergie en Europe. Ils ne proposent pas d'efforts sérieux pour lutter contre la surconsommation en Europe, pourtant indispensable pour réduire la pression sociale et environnementale sur les pays riches en ressources et préserver notre maison commune. Les Européens doivent reconnaître qu'au-delà d'un certain seuil, une consommation accrue de ressources matérielles n'est pas synonyme d'amélioration du bien-être et qu'ils ne peuvent plus maintenir un modèle économique qui exploite les personnes et les ressources sans limite. Le partenariat UA-UE doit reposer sur la reconnaissance des limites écologiques de la planète et placer la préservation de la vie sous toutes ses formes au cœur de ses préoccupations.
Nous exhortons les dirigeants européens à reconnaître leur responsabilité historique dans le dépassement des limites planétaires et à adopter des politiques visant à réduire la demande, la production et la consommation. Ces politiques permettraient de réduire plus rapidement la dépendance excessive de l'UE aux importations d'énergie, renforçant ainsi sa résilience face aux chocs potentiels et prévenant de nouvelles conséquences sociales et environnementales sur les territoires africains. Cela implique de réduire la taille des industries écologiquement destructrices en Europe et d'établir des objectifs contraignants de réduction de l'empreinte matérielle de l'UE. Ce sont des mesures concrètes et nécessaires pour garantir ce qui est indispensable à une vie digne pour les Européens, les Africains et tous.
Du piège de la dette à la justice en matière de dette
La crise de la dette actuelle est la pire de l'histoire et touche plus de 40 pays africains. Nombreux sont les pays qui consacrent plus de 20 % voire 30 % de leurs recettes publiques au service de la dette extérieure, confrontés à un choix impossible entre payer les intérêts d'une dette insoutenable et investir dans l'éducation, la santé et la lutte contre le changement climatique. Cette situation pousse également les pays africains tournés vers l'exportation à intensifier l'extraction et l'exportation de ressources naturelles pour honorer leurs obligations de remboursement (en dollars américains), au lieu d'organiser leur économie en fonction des besoins de consommation intérieure, de la prise de décision démocratique, de l'autodétermination et du respect de l'environnement.
La crise actuelle n'est ni le fruit du hasard ni uniquement due à des facteurs internes. De nombreux pays africains ont hérité d'une dette accumulée par leurs autorités coloniales, et nombre d'anciennes colonies ont été contraintes de verser des compensations aux anciens dirigeants européens pour la perte de revenus résultant de l'abolition de l'esclavage. En l'absence d'une gouvernance démocratique internationale de la dette, le processus de souscription de nouveaux emprunts ou de renégociation des dettes existantes s'est déroulé dans des conditions très défavorables aux pays africains, les créanciers détenant un pouvoir excessif et les négociations se déroulant sans transparence, sans règles standardisées et sans participation suffisante de la société civile. Les coûts d'emprunt excessifs sont fortement influencés par le secteur du crédit, dominé par de puissantes agences de notation occidentales. Le Cadre commun du G20 pour le traitement de la dette n'a pas donné les résultats escomptés : sa mise en œuvre est lente, il est axé sur les créanciers et inadapté.
Face à ce modèle qui concentre les revenus et accroît la pauvreté, nous exhortons les dirigeants africains à ne plus accepter une dette unilatérale ni des mécanismes de restructuration de la dette qui ne visent pas à libérer les sociétés africaines. Nous exhortons les gouvernements européens à reconnaître qu'une grande partie de la dette accumulée est illégitime, injuste et insoutenable.
L'Europe a la responsabilité de soutenir les initiatives d'allégement de la dette. Nous exhortons les dirigeants réunis au sommet à prendre au sérieux les appels à une restructuration urgente de la dette, voire à son annulation, sans conditions de politique économique. Le succès de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) a démontré que la dette peut effectivement être annulée, et cette annulation ne doit pas servir à porter atteinte à la souveraineté économique des pays accablés par des conditions d'endettement inéquitables et insoutenables. Par ailleurs, les dirigeants devraient soutenir la création d'une agence africaine de notation de crédit afin de mettre fin à l'oligopole actuel des agences de notation et appuyer les réformes des marchés financiers internationaux et de la réglementation bancaire qui désavantagent les pays du Sud.
Nous nous faisons également l'écho des principaux rapports récents sur la dette – le Rapport du Jubilé sur la dette (http://apo-opa.co/4oX5QRA), la Déclaration de Cape Town (http://apo-opa.co/3JMFnHB) de l'Initiative des dirigeants africains pour l'allégement de la dette et la Déclaration de Lomé (http://apo-opa.co/43mWeY5) de l'Union africaine – qui appellent sans équivoque à des réformes systémiques de l'architecture financière internationale. En cette Année du Jubilé, nous espérons que les dirigeants européens donneront suite aux conclusions de la 4e Conférence sur le financement du développement (http://apo-opa.co/3LBZ3yk) et soutiendront l'appel de l'Union africaine à la mise en place d'un mécanisme de résolution de la dette au niveau des Nations Unies. Un tel mécanisme offrirait un espace de délibération démocratique sur les règles régissant les emprunts et les prêts et obligerait tous les créanciers (publics, multilatéraux et privés) à se réunir et à accepter des conditions contraignantes favorisant le développement durable.
Mettre fin au piège de la dette n'est pas une question de générosité, mais de justice et de véritable partenariat, et implique de faire le choix stratégique d'investir dans la stabilité mondiale.
Des stratégies d'investissement centrées sur l'UE à un développement axé sur les populations
Rompre avec les schémas historiques d'extraction et de dette insoutenable exige également une révision du modèle de la Passerelle mondiale. Le programme d’investissement Global Gateway Afrique-Europe, bien qu’initié en principe pour renforcer le partenariat avec l’Afrique et accélérer la mise en œuvre de son Agenda 2063, est resté largement piloté par l’UE. Les priorités ont été définies à Bruxelles et les projets reflètent les intérêts stratégiques de l’Europe en matière d’approvisionnement en matières premières essentielles, d’importations énergétiques et de contrôle des migrations, plutôt que les objectifs de développement de l’Afrique.
Conçu pour « créer des débouchés commerciaux » pour les entreprises européennes, le Global Gateway finance principalement les projets par le biais de prêts et ne dispose pas de mécanismes robustes de transparence, d’implication de la société civile ni de contrôle public des infrastructures critiques. Un tel modèle contredit l’objectif premier de la « coopération au développement » de l’UE, à savoir l’éradication de la pauvreté et la réduction des inégalités, et est incompatible avec les traités et le règlement relatif au budget extérieur de l’UE. Il risque de détourner des ressources publiques limitées de la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans les régions et les pays qui en ont le plus besoin, notamment dans des secteurs comme la santé, l’éducation et la protection sociale.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un modèle fondé sur la souveraineté, l’autonomie, la transparence, le leadership local et la création de valeur ajoutée. Concrètement, cela se traduit par des projets de partenariat public-public, des financements sous forme de subventions, la priorité accordée aux entreprises locales, un cadre juridique contraignant en matière de droits humains et d'environnement, et un rôle actif de la société civile locale dans la sélection, la conception et la mise en œuvre de tous les projets.
Dans la perspective d'un partenariat qui rende justice aux peuples africains
Le 7e sommet UA-UE, qui se tient dans le cadre de l'Année des réparations de l'UA, doit impérativement réparer les injustices historiques et l'exploitation infligées au continent africain. Les Européens doivent reconnaître les causes profondes des problèmes actuels et admettre que l'héritage du colonialisme et de l'esclavage continue d'influencer les difficultés des économies extractives et les crises de la dette. Des mesures concrètes de la part de l'UE concernant la valorisation locale, les systèmes énergétiques démocratiques, la promotion des principes et pratiques agroécologiques, ainsi que la résolution de la dette, sont essentielles pour s'attaquer aux causes profondes de la pauvreté et des inégalités en Afrique – ni l'aide ni les investissements ne suffiront – et s'inscrivent pleinement dans un processus de réparation des injustices historiques. C'est ainsi que les dirigeants européens peuvent ouvrir la voie à une relation tournée vers l'avenir avec les pays africains. Voici comment le partenariat UA-UE peut se mettre au service de la vie.
Commission des Conférences épiscopales de l’Union européenne (COMECE)
Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SECAM)
Caritas Afrique
Caritas Moyen-Orient et Afrique du Nord
Caritas Europe
CIDSE (Coopération internationale pour le développement et la solidarité)
Distribué par APO Group pour Symposium of Episcopal Conferences of Africa and Madagascar (SECAM).