Déclaration conjointe de la Commission des Conférences Épiscopales Européennes (COMECE) et du Symposium des Conférences Épiscopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) à l'occasion de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UA et de l'UE le 21 mai 2025
L'Afrique a besoin d'une transformation enracinée dans les valeurs évangéliques de la protection de la création, de la solidarité avec les pauvres et de la recherche de la paix
Parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée
En tant que pasteurs de l'Église catholique en Afrique et en Europe, nous, évêques du Symposium des Conférences Épiscopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) (www.SECAM.org) et de la Commission des Conférences Épiscopales Européennes (COMECE), parlons aujourd'hui d'une voix formée par les réalités vécues par nos peuples - agriculteurs, pêcheurs, éleveurs, femmes et jeunes - dont les vies sont façonnées par la terre, et dont l'espoir dépend de la justice, de la paix et de la dignité. Nous nous félicitons de la tenue de la réunion conjointe des ministres des affaires étrangères de l'Union africaine (UA) et de l'Union européenne (UE), qui nous offre l'occasion d'examiner non seulement nos ambitions communes, mais aussi la nature même de notre partenariat. Comme le SECAM et la COMECE l'ont déjà déclaré il y a cinq ans, « nous sommes fermement convaincus que l'Afrique et l'Europe pourraient devenir les moteurs d'une redynamisation de la coopération multilatérale en renforçant leurs liens de longue date, marqués par nos racines communes et notre proximité géographique [...] vers un partenariat équitable et responsable qui place les peuples au centre ».
Nous sommes toutefois profondément préoccupés par certaines évolutions de ce partenariat au cours des dernières années. Nous avons été témoins d'un profond changement dans les priorités européennes - de la solidarité avec les régions et les communautés les plus fragiles et de la coopération au développement visant à éradiquer la pauvreté et la faim, vers un ensemble plus étroitement défini d'intérêts géopolitiques et économiques. Malgré l'intention louable qui sous-tend certains projets de promotion du développement humain à la base, certaines initiatives soutenues dans le cadre de la passerelle globale de l'UE - bien que présentées comme mutuellement bénéfiques - semblent trop souvent reproduire les schémas extractivistes du passé : privilégier les objectifs stratégiques et commerciaux européens plutôt que les besoins et aspirations réels des populations africaines.
La terre, l'eau, les semences et les minéraux - les fondements mêmes de la vie - semblent une fois de plus être traités comme des marchandises destinées au profit étranger plutôt que comme des biens communs à gérer avec soin. On demande à l'Afrique de sacrifier ses écosystèmes et ses communautés pour aider l'Europe à atteindre ses objectifs de décarbonisation, que ce soit par des transactions foncières massives pour des projets énergétiques dits « verts », par l'expansion des plantations de compensation carbone ou par l'externalisation des intrants et des déchets toxiques de l'agriculture industrielle. Il ne s'agit pas d'un partenariat. Ce n'est pas de la justice.
« Parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée » (Laudato Si', §2)
L'Église catholique, inspirée par l'encyclique Laudato Si' du pape François, partage l'idée que nous devons entendre à la fois le cri de la terre et le cri des pauvres. Ces cris sont forts et clairs dans toute l'Afrique. Le changement climatique fait des ravages parmi ceux qui dépendent de la terre, même si notre continent est celui qui a le moins contribué à la crise. La dégradation des sols, l'empoisonnement de l'eau et la perte de biodiversité détruisent les fondements de la vie rurale. La faim en Afrique augmente, non pas parce que nous manquons de nourriture, mais parce que nous avons laissé s'installer des systèmes qui placent le profit au-dessus des gens et qui considèrent l'agriculture comme un processus industriel et non comme un mode de vie.
Nous exhortons les ministres réunis à Bruxelles à placer la dignité des peuples africains au cœur du partenariat UA-UE. Cela signifie qu'il faut soutenir une transformation de l'agriculture qui se libère de la dépendance aux engrais importés, aux intrants chimiques et aux semences génétiquement modifiées. Cela signifie qu'il faut protéger et promouvoir les systèmes de semences gérés par les agriculteurs, qui sont les dépositaires de la biodiversité agricole de l'Afrique et la clé de la souveraineté alimentaire. Ces systèmes ne sont pas rétrogrades ou inefficaces : ils sont résistants, ancrés dans la tradition et adaptés aux écosystèmes locaux. Criminaliser les agriculteurs qui conservent des semences ou imposer des régimes de propriété intellectuelle rigides alignés sur les programmes de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) ou des entreprises, c'est violer à la fois leurs droits et les besoins de la planète.
Nous demandons l'interdiction immédiate de l'exportation et de l'utilisation de pesticides hautement dangereux en Afrique. Il est extrêmement injuste que des produits chimiques interdits en Europe en raison des risques qu'ils présentent pour la santé et les écosystèmes y soient encore fabriqués et commercialisés auprès des agriculteurs africains. Cette politique de deux poids deux mesures doit cesser. Nous devons au contraire investir dans l'agroécologie - une science, une pratique et un mouvement social qui nourrit la terre, respecte les traditions culturelles et renforce l'autonomie des femmes et des jeunes. L'agroécologie offre une voie véritablement africaine à l'adaptation au climat et à la régénération rurale. Elle est ancrée dans la sagesse de nos communautés et validée par la science. Elle est notre avenir.
En outre, nous rappelons à nos dirigeants politiques que la terre est sacrée. Pour la plupart des Africains, la terre n'est pas simplement un facteur de production ou un bien commercialisable. C'est un don de Dieu, qui nous a été confié par nos ancêtres et qui est détenu en commun pour les générations futures. Les acquisitions de terres à grande échelle par des investisseurs étrangers ou des institutions de financement du développement, effectuées sans consentement préalable, libre et éclairé, constituent un affront à ce patrimoine sacré. Elles déplacent les communautés, érodent les droits coutumiers et contribuent aux conflits et aux migrations forcées. Les ministres doivent agir avec détermination pour mettre fin à l'accaparement des terres et garantir la protection juridique des régimes fonciers communaux et coutumiers.
Nous sommes particulièrement troublés par l'utilisation croissante du territoire africain comme site pour les besoins en ressources et les ambitions climatiques de l'Europe. La décarbonisation ne doit pas se faire au détriment des écosystèmes africains ou des droits des communautés africaines. Il est éthiquement indéfendable d'exiger que l'Afrique devienne le dépotoir de la « transition verte » de l'Europe, que ce soit par l'extraction de minerais essentiels ou par de vastes projets fonciers qui réduisent notre continent à un puits de carbone.
Soyons clairs : l'Afrique n'a pas besoin de charité, ni d'être un champ de bataille pour des intérêts extérieurs. Ce dont elle a besoin, c'est de justice. Ce dont elle a besoin, c'est d'un partenariat fondé sur le respect mutuel, la gestion de l'environnement et le caractère central de la dignité humaine. Nous pensons qu'un tel partenariat est possible, mais seulement si les structures et les priorités de la coopération UA-UE sont fondamentalement réorientées vers ces objectifs.
Nous exhortons donc les ministres à écouter plus attentivement la société civile africaine, les peuples autochtones et les communautés religieuses - non pas en tant que participants symboliques, mais en tant que co-créateurs égaux de la politique. Un véritable dialogue implique de faire place aux voix de ceux qui vivent sur et avec la terre.
Nous concluons en nous faisant l'écho de l'esprit de Laudato Si', qui appelle à une « écologie intégrale » - une écologie qui reconnaît la profonde interconnexion entre les personnes, la planète et les objectifs.
Nous prions pour que cette réunion marque un tournant, non seulement dans les relations diplomatiques, mais aussi dans la boussole morale et spirituelle qui guide notre avenir commun.
L'Afrique a besoin d'une transformation enracinée dans les valeurs évangéliques de la protection de la création, de la solidarité avec les pauvres et de la recherche de la paix. Comme nous l'enseigne Laudato Si', « tout est lié » (§117) - et notre réponse doit donc être holistique et courageuse.
Nous invitons les ministres des affaires étrangères de l'UA et de l'UE à se montrer à la hauteur de ce moment. Que ce soit le partenariat qui écoute les cris de la terre et les cris des pauvres. Que ce soit le moment où l'avenir de l'Afrique est façonné non pas par des intérêts extérieurs, mais par les aspirations de son peuple - en particulier de ceux qui cultivent la terre, nourrissent la nation et protègent l'environnement.
Distribué par APO Group pour Symposium of Episcopal Conferences of Africa and Madagascar (SECAM).
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